5150, rue des Ormes - Patrick Sénécal

Avec cette chronique, j'aimerais bien, si vous êtes d'accord, inaugurer quelque chose qui pourrait s'appeler "Chroniques Québécoises", par exemple.... J'y ferai part de mes lectures, afin de présenter au public les auteurs d'ici, dont on entend finalement peu parler chez nous. Et, en l'occurrence, c'est dommage!
Pourquoi pas, d'ailleurs, assortir ces chroniques d'une brève présentation de l'auteur et citer sa bibliographie? Ça pourrait être intéressant?


Yannick Bérubé visitait à vélo les quartiers résidentiels de Montcharles quand il est tombé sur un chat noir. Pas au sens métaphorique, non : il s'est réellement cassé la figure en voulant éviter l'animal. Résultat, son vélo est fichu, et il ne lui reste plus qu'à appeler un taxi. Il sonne donc à la porte de la maison d'à côté, dans l'espoir de téléphoner et de rentrer chez lui rapidement. L'homme qui lui ouvre a, nous dit-on, un look un peu quétaine, ce qui en québécois signifie qu'il a l'air ringard. Cependant, il ne faut pas dix minutes à Yannick pour s'apercevoir que, sous ses dehors un peu beaufs, monsieur Beaulieu est fou. Pas gentiment timbré, pas un peu dans la lune, non, dément, dans l'acceptation la plus pure du terme.
Parce qu'il a vu ce qu'il n'aurait pas dû voir - un homme blessé étendu sur le parquet d'une chambre, Yannick n'est plus autorisé à repartir. Jacques Beaulieu, obsédé par l'idée de justice, ne peut pas le tuer : Yannick n'a rien fait. Mais il ne peut pas non plus le laisser partir, car il trahirait son grand-œuvre en le présentant aux policiers comme un assassin. Commence donc pour Yannick une longue, très longue séquestration, aux côtés d'une famille tout sauf normale. En dehors du père, Dernier des Justes en personne, nous avons donc sa fille aînée, Michelle, probablement plus dangereuse que son père, Maude, la maman, une femme timide, folle de Dieu et entièrement soumise à son mari, et Anne, la petite dernière, muette, probablement sourde, et dont les yeux ressemblent à des puits ouverts sur le néant.

Patrick Sénécal réussit réellement un tour de force : celui de nous raconter la typique histoire d'horreur, celle qu'on a déjà entendue des dizaines de fois, au cinéma comme en littérature, et jusque dans la colonne "Faits divers" du journal, en lui apportant ce je-ne-sais-quoi d'unique qui nous scotche au bouquin jusqu'à la dernière page. Sénécal lui-même ne se gêne pas pour citer ses références au fil du texte, sans arrogance ni fausse modestie. Oui, on pense d'abord à Massacre à la Tronçonneuse*, puis à Misery**. Oui, mais pas que. Parce que ses personnages, loin d'être les énièmes archétypes que le genre se complait à soumettre à nos yeux pervers, possèdent une vraie présence, une vraie personnalité, parce qu'ils peuvent même en devenir attachants à force d'être humains. Parce que l'intrigue est menée avec brio, dans un style impeccablement maîtrisé (je me damnerai pour savoir écrire mes scènes d'action aussi bien!) et qu'en plus, elle surprend. Subtilement, les équilibres basculent. Ce que vous croyiez juste, logique, ne l'est plus tant que ça. Vous attendiez une banale histoire de séquestration avec force tarés congénitaux, du sang et une happy-end, vous n'en aurez rien. Ce qui se met en place dans cette maison dépasse de loin la dichotomie bourreau-victime.

Difficile d'en dire tellement plus sur cette intrigue, car j'aurais peur d'en dévoiler les coups de théâtre et les enjeux. J'ajouterai donc juste qu'il est notamment question de jeu d'échecs, et que jamais vous n'avez vécu une partie avec autant d'intérêt, ni même, de ferveur. Si cette information paraît déplacée à certains, je suis sûre qu'elle ne manquera pas d'attiser la curiosité des autres

Pour conclure, je ne peux que répéter mon avis à peine sous-jacent dans cet exposé : je recommande ce livre très, très chaleureusement, à tous les amateurs d'histoires tordues. Elle satisfera leur goût du sordide et du glauque, tout en leur donnant ce frisson, que l'on ne ressent qu'en écoutant une histoire qui sort de l'anecdotique pour entrer dans le champ de la métaphore.

Auteur : Patrick Sénécal
Éditeur : Alire
Année : 2001 pour cette édition remaniée par l'auteur

*Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre) est un film américain réalisé par Tobe Hooper, sorti en 1974.
**Misery est un roman de Stephen King de 1987, adapté au cinéma en 1990 sous le même titre par Rob Reiner.

Note : 5150, rue des Ormes a été adapté au cinéma par Eric Tessier en 2009

une fois n'est pas coutume, je crois que je lirai cette chronique à mon prochain passage sur le forum (à moins qu'il ne soit possible de se le procurer sans trop de pb sur rennes )

l'idée de présenter des oeuvres de qualité méconnues de notre coté de l'atlantique est plus que bonne ! si une oeuvre est bonne, il y a des chances qu'elle trouve son public ... mais ça peut parfois mettre du temps ! et si tu as la possibilité de le raccourcir, n'hésite pas

chroniqueuse bretonne chez les caribous, et un brin canadienne pour nous ! spleeendid'

Je m'aperçois en voyant la réponse de Dje que j'avais oublié de répondre à ce sujet ! D'abord, j'ai beaucoup aimé la chronique, ce bouquin a l'air assez horrible mais intéressante
Et en tout cas, oui j'en veux et j'en redemande des chroniques québécoises. Faut quand même qu'on profite du fait que tu te sois expédiée de l'autre côté de l'océan, là où les gens vivent dans des endroits immenses et n'ont qu'une vague idée de ce qu'est un légume frais.

En fait, il y a beaucoup d'émissions culinaires, qui proposent des recettes à base de produits frais... J'irai faire un tour au marché prochainement. D'ailleurs, sais-tu qu'ici débarque dans une semaine l'émission.... "Un souper presque parfait"! Oui, parce qu'ici, à midi on dîne, et le soir, on soupe!

Mais je m'égare

Oui, le livre est assez horrible, mais il vaut le coup!
Et pour répondre à Dje, l'éditeur est canadien, mais en passant par Amazon tu l'auras sans problème, je pense.