Guy Gavriel Kay - La Tapisserie de Fionavar

Ce n'est pas un hasard si c'est la deuxième oeuvre du même auteur dont je parle ici. Guy Gavriel Kay mérite d'être lu, quel que soit votre genre de prédilection, car ses histoires sont, comme celles de Gemmel, avant tout des aventures humaines. De celles qu'on relit, de celles qui nous attachent aux personnages comme à des amis de longue date, et qu'on est triste de quitter.

La Tapisserie de Fionavar décrit en trois volumes la guerre qui se déroule en Fionavar, le premier de tous les univers existants. Cinq étudiants de notre monde sont amenés en Fionavar par Lorèn, le premier mage du Brennin. Sur place, ils découvrent leur véritable rôle dans la guerre qui se prépare, et au fil du récit, ils prennent aussi conscience de leurs véritables valeurs, de leurs appartenances, et de leur identité profonde. Car chacun a vécu plusieurs vies avant d'atteindre la dernière, la plus décisive. Car Rakoth Maugrim, le Dévastateur, a été libéré. C'est un dieu, et même au-delà d'un dieu : il vient de l'extérieur des univers, au-delà du temps, et il est ici pour asservir tous les mondes à son immense pouvoir.

Partant de cette base assez schématique de guerre manichéenne contre le bien et le mal - commune à la plupart des romans d'heroic fantasy - l'auteur développe une intrigue complexe à l'image du monde qu'il a créé : une toile, un dessin, une trame, une tapisserie. Car aucun acte n'est sans conséquence, et chaque être est relié aux autres, même de la manière la plus infime. La cohérence de la trilogie est extrême : pas un détail n'est oublié, car élément d'intrigue trouve tôt ou tard son aboutissement. Sa grande force est sa sensiblité aigue, qui nous amène à rire et à pleurer, à éprouver une profonde admiration pour les personnages et à suivre leur quête avec un intérêt passionné.

On pardonne facilement quelques maladresses pointant un style de jeunesse. Parfois la tendresse visible de l'auteur pour ses personnages rend les scènes un peu trop idéales, trop belles pour être vraies. Il semble que les personnages sont sans défaut. On regrettera aussi la trop grande ressemblance de la race des lios alfar avec les elfes de Tolkien, et le léger agacement qu'ils peuvent susciter en composant des chansons à tout va. Le premier volume passe également un peu rapidement sur l'adaptation des jeunes brusquement projetés dans un autre monde ; une expérience qui ne semble pas susciter chez eux beaucoup de questions. En fait, le pouvoir d'attraction de l'oeuvre se déploie à mesure que l'intrigue avance, et on finit par être totalement captivé, si on était rebuté par un début un peu chaotique.

On pardonne ces petites erreurs car on est transporté par l'histoire, indulgent parce que l'émotion l'emporte sur le cynisme, dans ce bel effort pour faire ressortir avec transparence et poésie ce que notre nature possède de plus beau. Ce roman parle de ce dont nous pouvons être fiers, le courage, l'abnégation, le respect, la constance. Un roman éminemment chevaleresque, en somme, tout en gardant une profonde simplicité propre aux écrits de Kay. Il parvient à exprimer avec pudeur et justesse les conflits intérieurs, les désirs les plus profonds.
Le monde de Fionavar est un monde dans lequel on voudrait s'attarder, et même y rester.

Cette trilogie est donc une grande réussite romanesque, car l'intrigue est parfaitement maîtrisée, les personnages suffisamment épais et aimés par l'auteur pour en faire le pilier de l'histoire, et le monde de Fionavar empli de légendes qui parleront à notre mémoire et notre identité. Fionavar est la source de tous les mondes, et c'est l'impression qu'on a en le lisant : une impression de cycle, d'éternité. Il contient tout ce que nous sommes et ce que nous avons aimé.

Il ne me reste qu'à espérer que vous le lirez, et si vous le faites, à vous souhaiter un excellent séjour en compagnie des héros de Fionavar...

Très belle chronique qui fait envie! Et même très envie! Comme tu le décris, ce livre m'évoque Clive Barker façon Imajica, et Gemmel que tu cites justement... Tu me le prêtes quand j'ai fini Catherine Dufour? (demain quoi )