Immersion

Ecrire, c'est pour moi un peu comme faire de la magie. Il me faut planter le décor, invoquer songes et imagination, par la musique, une promenade sous le ciel, près de la mer ou parmi les arbres. Il me faut me concentrer, taper les premiers mots, rechercher cette énergie perdue au fond de moi. Faire monter la marée qui dort en moi. Peu à peu le pouvoir se lève, c'est long parfois, parfois ça ne fonctionne pas. Il me faut me maintenir dans cet état presque second, demeurer là où je suis entrée, ne pas lâcher le fil que je suis dans le labyrinthe.
Et pour vous, c'est quoi ? Quels sont vos rituels ?

Principalement, c'est la musique qui me guide. Je dois la choisir en fonction de ce que je souhaite écrire. Parfois, au contraire, c'est le disque que j'écoute qui produit, de lui-même, des images. Je peux écrire sur mon ordinateur fixe, mais désormais je préfère mon portable : calée entre les coussins de ma méridienne, un thé et des clopes à portée de main, je saute dans le vide à pieds joints et, si je suis assez détendue, en arrivant je crève la surface de l'eau et la magie opère. Dans ces cas-là même la présence d'un tiers ne me dérange pas. Je préfère quand même être seule parce que sinon, je n'ai pas toujours le choix de la musique, et c'est la condition sine qua non pour que je me sente dans mon élément.

En ce qui me concerne, pour écrire, il est assez important que je sois seul. Non pas que j'exècre la présence de mes proches, mais bon, on ne peut pas empêcher les gens de vivre, de parler, de faire du bruit, bref de faire des trucs qui n'ont absolument rien à voir avec ce que je suis en train d'écrire. inon ça donne des trucs du genre :

Cet été, calé à la table du salon de ma maison de campagne avec mon pc portable, je tente d'écrire alors que j'ai l'angoisse de la page blanche depuis quelques mois. Cinq ou six potes vaquent à leurs occupations autour de moi. Miracle, l'inspiration me reprend : " Des hurlements horribles, reflétant toute la puissance dévastatrice de la douleur mentale qui emprisonnait le jeune schizophrène. Reuno traversa le salon, pénétra dans le couloir. Là, prostré dans le noir, Joey, la tête entre les genoux, les mains crispées sur la crosse de son flingue, pleurait et hurlait de terreur. De longues traces sombres maculaient les murs, le sol." Et là, brusquement, vu que c'est bientôt l'heure du repas, j'entends quelqu'un qui fait " Putain mais j'en ai marre j'ai encore raté la sauce tomate !" suivit de près par " Bougez vous faut mettre le couvert !" et là mon cousin qui met de la musique... A ce moment très précis, j'étais comme vous l'imaginez bien, tout à fait sorti du contexte, et je n'ai plus pu écrire un mot.

La musique me dérange au plus haut point, le pire de tout étant la télé. Ca me tape particulièrement sur les nerfs n'importe quand qu'elle soit allumée, mais alors quand j'écris ce n'est même pas la peine d'y penser. Ca a le don de me foutre en rogne... Faudra que j'écrive un de ces quatre ce que je pense de la télé.

Sinon, Kalys, je suis un peu comme toi. Il me faut des clopes, de quoi boire (n'importe quoi de non alcoolisé : jus de fruits, coca...) et surtout m'assurer que je ne serai pas dérangé. J'écoute de la musique tout le temps, en voiture, quand je marche dans la rue avec mon walkman, au boulot avec la radio, et effectivement, les morceaux m'inspirent réellement. D'ailleurs, à chaque livre que j'écris, je fais la liste des chansons qui m'ont inspiré et c'est en quelque sorte la B.O. de mon bouquin.

Par contre, chose curieuse, à chaque fois que j'écris (ça dure en général entre une heure trente et trois heures), je finis complètement crevé, pire qu'après une journée de taf. Ca vous le fait à vous aussi ?

Tiens moi aussi je collectionne les bandes originales de mes écrits! Sinon non, je ne suis pas spécialement fatiguée quand j'arrête d'écrire. J'ai généralement les yeux explosés, mais je me sens vidée dans un sens positif. La fameuse catharsis, appliquée à l'écrivain, j'imagine... Je suis en général très soulagée d'avoir réussi à écrire, même si ce ne sont que quelques lignes. Après je suis dans une sorte de coton, tout me semble paisible. Mais c'est vrai que je suis incapable de faire grand-chose, après.

Eh bien moi la présence d'un tiers ne me dérange absolument pas, puisque jusqu'ici le seul "tiers" à être près de moi quand j'écris c'est mon amoureux, et il est très silencieux Il joue de la guitare, ce qui ne me dérange absolument pas, mais il ne m'adresse jamais la parole (il est trop heureux que je me mette enfin à bosser pour m'interrompre!).
La musique ne m'inspire ni ne me dérange; avant elle m'inspirait mais j'ai arrêté de le faire parce que j'étais dépendante de ça pour avoir de l'inspiration, et je n'aime pas être incapable d'écrire une scène, tout ça parce que je ne trouve pas le morceau qui va avec. Parfois, par hasard, ce que j'écris peut coller avec la musique qui passe sur le pc à ce moment-là, et c'est d'autant plus exaltant que c'est un hasard Maintenant je trouve l'inspiration en moi, pas dans la musique, et je préfère marcher sans cette béquille.
Sinon j'écris sur mon portable, assise sur le lit, clopant de temps en temps, mangeant des bonbons (jawbreakers en particulier, indispensables) et buvant des thés à la menthe qui me sont préparés par le mâle.
Je mets en général un quart d'heure voire une demi-heure pour me mettre dedans, puis après ça va tout seul (quand tout se passe bien ). Après, ce sont mes personnages qui me guident, pas le contraire.

C'est pas vraiment que j'aie besoin de la musique pour être inspirée en fait. C'est juste que je trouve ça mieux. J'écris parfois des choses cauchemardesques ou tristes, et je trouve un peu dur de me concentrer dessus en écoutant Gwen Stefani tu vois Mais souvent maintenant j'écris alors que Mathias est à côté; quand il joue j'ai plus de mal à me concentrer quand même. Je trouve que la musique donne une dimension supplémentaire à mon univers, et du coup, elle le diversifie, elle y introduit des choses nouvelles. Donc j'apprécie.

Ah ben je dis pas que ça puisse aider convenablement quelqu'un, au contraire, je sais que ça marche comme ça pour toi.
Mais pour ma part, j'ai l'impression que le travail vient plus entièrement de moi, et est plus homogène donc en même temps moins soumis à des passages grandioses alternant avec des liens minables entre les scènes. You see?

Tu sous-entends donc que mes transitions sont minables. C'EST ÇA HEIN!

NON sale parano!

faisons revivre certains sujets auxquels je n'avais pas encore eu l'occasion de jeter un oeil

tout peut être pretexte à imagination (avec une predilection pour les nuages)

dans la phase de premier jet, peu importe l'endroit : classe, bus, bar, chez moi, soirée (j'ai souvent l'habitude de noter ça dans les brouillons sms ) ... le but étant de saisir l'essence de l'idée et ses implications

par contre pour le travail plus en détail ... de préférence au calme, la musique c'est selon ... mais la nuit reste le créneau qui me va le mieux, aucun mouvement, aucun bruit ... à part ceux que je décide !

erk : à chaque livre que j'écris ... : à chaque livre que tu es en train d'écrire ? ou en as-tu déjà terminé un certain nombre ?
c'est marrant, je fais à peu près la même chose : quand j'ai une idée, je note le lieu, l'heure, ce que je faisais ou ce à quoi je pensais (histoire de retrouver ce qui a pu m'inspirer sur le moment, et la plupart du temps ça marche assez bien, comme si je pouvais revenir à une partie de ces moments à volonté !), et que je recopie du format papier à l'ordi ou à partir du telephone portable, c'est souvent sur fond musical -- correspondant plus à l'état d'esprit du moment qu'au projet en lui-même ... mais ce n'est pas sans influence !

le fait que tu termines crevé est peut-être dû à l'intensité de la concentration pendant ce laps de temps ! et quand je vois ce que ça peut donner dans le domaine musical (classique, pour prendre un exemple où il y a peu de dépenses physiques liées aux déplacement), notemment sur des concertos ou choses du genres, après une heure et demi de programme certains sont h.s. (je ne sais pas si vous avez remarqué la transpiration pouvant apparaître chez certains solistes après 5 à 10 minutes de jeu ? ... mais j'avais entendu dire à propos de yehudi menuhin ou itzhak perlman qu'ils pouvaient perdre plusieurs litres d'eau en un concert !!)
bref, c'est peut-être un phénomène similaire lié à la concentration

En général, pour écrire, il faut que je sois dans des dispositions mentales particulières, que je ne saurais pas décrire (un mélange de mélancolie et d'inspiration, et avec une envie d'écrire, sinon c'est plus dur ).
Pour autant, je fais des efforts pour pouvoir écrire à tout moment.

Par contre, ne décidant pas quand mes idées me tombent sur le crâne, je prends beaucoup de notes incompréhensibles à n'importe quel moment.

Dans l'écriture, je m'isole (de toute manière, je suis seul à l'appart). J'ai essayé d'écrire dans le train mais ça marche assez moyen en fait. La musique n'est pas une obligation, mais en général j'apprécie un fond sonore, en général des BO de films ou de jeux, pas quelque chose avec des paroles en tout cas (sinon, je chante, je n'écris pas). De toute manière, je suis bien souvent obligé de baisser le son voire de le couper, pour pouvoir me concentrer.

J'écris très lentement, il me faut en général plus d'une heure pour fournir une dizaine de lignes (bien souvent moins que ça d'ailleurs). Donc mes nouvelles n'avancent pas vite

étonnant, je trouve que l'ambiance d'un train (quand on n'est pas claqué, et qu'il n'y a pas plein de piaillous à faire du bruit dans la rame ) est très bien pour l'écriture, un peu comme le bruit de la pluie, du vent, des oiseaux ou de la mer (... en plus mécanique !) : une bonne b.o. du moment présent

même chose que toi pour les idées, elles tombent, je note pêle-mêle sur le support/medium disponible ...

Gradlon a écrit:J'écris très lentement, il me faut en général plus d'une heure pour fournir une dizaine de lignes (bien souvent moins que ça d'ailleurs). Donc mes nouvelles n'avancent pas vite

mmh, j'en déduis que tu es un puriste qui s'essaie dans l'art de trouver le mot juste dans la phrase bien tournée ! ... à moins que tu ne sois jamais satisfait de ce que tu écris ?

alors ... en considérant qu'une ligne comporte en taille standart un peu moins de 100 caractères (si tu écris sur un ordi ou à la machine) -- moitié moins en écriture manuscripte -- une dizaine de ligne ... je rajoute un zero ... une nouvelle 10 000 à 30 000 caractères, ce qui nous donne ... 10 à 30 heures !

la nouvelle étant un exercice jugé par les (/certains) écrivains (... ceux qui pondent des romans) comme un exercice à part, puisque l'espace et le rythme sont d'autant plus importants que le texte est court (par rapport au roman) ... je pense que c'est tout à fait raisonnable -- pas très rentable en quota lignes/heures ... mais créer quelque chose dont tu es ultra-fanatique n'a pas de prix --, sachant qu'à celà tu peux rajouter de la documentation, un relecture, une ré-écriture et diverses broutilles ...

dje a écrit:mais créer quelque chose dont tu es ultra-fanatique n'a pas de prix

bon, je suis conscient qu'être plus que satisfait par son oeuvre n'est pas forcément un gage de qualité ! mais avec un peu d'ouverture, et quelques bons conseils sous la main, ça permet de continuer à créer même si tout le monde n'est pas convaincu !.. et quand je vois tout ce que j'ai lu à propos d'auteurs divers et variés écrivant tous très bien, il semblerait qu'au delà du fait d'écrire plutot que d'en parler (c'est ce que je fais en ce moment non ? ) -- ce qui constitue déjà un grand pas --, la principale qualité requise serait la perséverance !!!
puisqu'une oeuvre présentée à un éditeur doit être retravaillée sur certains passages de manière quasi-automatique (il parait que le secret de ji soit l'exception qui confirme la règle, et que mnemos/s.marsant aie publié le bouquin quasiment en l'état !) ... pour un écrivain en devenir n'ayant pas atteint le niveau pro, ça n'est donc pas couru d'avance ... mais je ne vous apprends rien
à noter que même j.k.rowling n'avait pas totalement séduit, avant que les ventes ne fassent changer la donne, et dans un autre genre, p.rothfuss a mis quelques années avant de réussir à sortir le nom du vent (7 ans d'écriture + 7 de ré-écriture ... chapeau) -- chez bragelonne pour l'édition française -- la perseverance et une touche de hasard encore une fois ...
http://www.phantastik-couch.de/interview-with-patrick-rothfuss.html

bref, vive les nombrilistes !.. ou comme dirait forest (celui du film, pas celui du kkk !) garde[z] le sourire !

alors ... en considérant qu'une ligne comporte en taille standart un peu moins de 100 caractères (si tu écris sur un ordi ou à la machine) -- moitié moins en écriture manuscripte -- une dizaine de ligne ... je rajoute un zero ... une nouvelle 10 000 à 30 000 caractères, ce qui nous donne ... 10 à 30 heures !

Ouais, je l'avais pas vu comme ça... mais bon, faut compter les pauses de 10 heures à 10 mois, les mouvements de boxe défoulatoires sur mon balcon, le café, Internet, re-Internet... je t'assure, je mets plus de 30h à écrire un texte

mmh, j'en déduis que tu es un puriste qui s'essaie dans l'art de trouver le mot juste dans la phrase bien tournée ! ... à moins que tu ne sois jamais satisfait de ce que tu écris ?

Ouais, je n'ai qu'un seul défaut : je suis perfectionniste. Il y a un peu de ça, au moins quand je tape au clavier. En manuscrit, beaucoup moins, parce que c'est plus chiant, va savoir pourquoi.

peut-être est-il plus simple de corriger et remettre en forme/page ses idées ... de copier-coller, de faire 36 choses en même temps, de revenir sur ce que l'on a fait ... pour sûr que le rapport à l'écriture est différent !
je pense que sur papier, il y a un coté plus brut : ça passe ou ça casse ! (le cliché est d'écrire quelque chose sur sa feuille blanche, de la mettre en boule et la jeter parce qu'elle ne contient finalement rien de satisfaisant, et retour à la page blanche)

je veux bien te croire pour les 30h, de mon coté c'est plutot en semaine ... à un moment ou un autre je procrastine (donc c'est finalement en années, de toute manière)

J'aime bien écrire sur papier, moi. Même si j'écris comme un patachon, pour utiliser une expression que je n'ai pas rencontrée depuis l'école primaire. En général, la qualité de mon écriture est moindre, mais j'aime bien raturer, annoter, etc. Cela permet déjà d'avoir une première relecture au moment de taper au clavier.

La procrastination, je connais bien... je la côtoie tous les jours Pour l'illustrer, j'avais sorti ça, une fois :
"Remettre à demain ma dépendance à la procrastination."

Je crois qu'on est tous victimes de ce mal vicieux... Et à mon avis, c'est pas près de changer !

Gradlon a écrit:La procrastination, je connais bien... je la côtoie tous les jours Pour l'illustrer, j'avais sorti ça, une fois :
"Remettre à demain ma dépendance à la procrastination."

J'ai toujours remis au surlendemain ce que j'aurais parfaitement pu faire l'avant-veille. by Alphonse Allais in Le chat noir

d'accord avec toi pour la relecture quand on passe du papier au numérique (d'ailleurs, il m'arrive parfois d'imprimer certains bouts de textes pour ensuite les annoter, et le re-modifier lors d'une réécriture sur ordi !)

@mu : je ne pense pas que tout le monde soit un terreau fertile pour la procrastination, j'ai même dans l'idée que certaines personnes n'ont tout simplement pas le choix : elle ne peuvent se permettre de remettre ce qu'elles doivent faire à plus tard ... de là à dire qu'il y a procrastination parce qu'aucun impératif extérieur à la volonté propre (ou une norme sociale /autorité forte) ne vient l'empêcher de fleurir gaiement, c'est un pas que je ne franchirai pas